Catherine Ego aime les mots. Elle aime les lire, les dire, les écrire. Les traduire surtout. Elle aime ce qu’ils dégagent, leur poésie. Et quand elle vous parle de sa passion, cet amour est contagieux… au grand bonheur des étudiants et étudiantes qui ont la chance de suivre son cours en traduction littéraire dans le cadre du certificat de traduction II de la Faculté de l’éducation permanente (FEP). Portrait d’une chargée de cours dynamique et inspirante.
Lauréate du Prix du Gouverneur général en traduction en 2016 et doublement finaliste au Prix de traduction de la Fondation Cole, Catherine Ego est une traductrice chevronnée et reconnue. Elle a d’ailleurs été nommée traductrice attitrée de la poète officielle du Parlement du Canada, Louise Bernice Halfe – Sky Dancer, et a été récemment élue vice-présidente pour le Québec de l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada (ATTLC). Elle traduit depuis 30 ans une multitude de littératures : romans, essais, bandes dessinées, littérature jeunesse, poésie…
Ne l’imaginez pas pour autant constamment plongée dans ses livres. Celle qui a trouvé sa vocation dans l’écriture n’en est pas moins une oratrice passionnante. Très active au sein du milieu de la littérature et de la traduction, elle anime des ateliers et des causeries, présente des conférences et participe à des tables rondes. Elle est aussi conteuse, enseignante, animatrice de radio et médiatrice. Catherine Ego a également créé avec le compositeur et guitariste Arturo Parra « Paroles Égales, le théâtre pour l’oreille », un duo de musique et voix parlée pour lequel elle écrit et incarne ses textes en scène.
Les mots, une vocation
Tout commence par quelques vinyles. Catherine Ego est adolescente lorsque son grand frère lui rapporte de son voyage aux États-Unis et au Canada des disques de La Bottine souriante et d’Harmonium. La chanson québécoise la fascine aussitôt : elle y découvre une nouvelle façon de parler le français, dont elle perçoit vite la richesse et la profondeur, mais aussi un peuple qui s’affirme et dont elle admire le dynamisme et la résistance.
Dès que l’occasion se présente, elle quitte sa France natale pour voyager au Québec et c’est le coup de cœur. Elle s’y sent immédiatement chez elle et sait qu’elle reviendra s’y installer. Comme elle étudie alors dans une école de commerce, c’est d’abord un MBA à l’Université Laval qui lui permet de vivre son rêve québécois. Mais elle comprend très vite qu’elle n’est pas faite pour le monde des affaires … Ce sont les mots qu’elle aime! Elle décide donc de s’orienter vers la traduction. « Je me suis réveillée un matin en me disant que je voulais être traductrice. Les deux décisions les plus importantes de ma vie – m’installer au Québec et devenir traductrice – je les ai prises comme ça, guidée probablement par mon inconscient », se rappelle Catherine Ego avec émotion.
Elle fait d’abord ses armes dans un cabinet de traduction, mais se lance vite à son compte. Elle découvre alors la traduction littéraire et s’exerce aux textes de longue haleine, 50 000… 100 000 mots. Puis, les Presses de l’Université Laval (PUL) lui proposent de traduire des essais de recherche universitaire qui aiguisent sa curiosité en élargissant ses connaissances. « La traduction de sujets d’abord obscurs et abstraits pour moi m’a permis de développer mes capacités de recherche et de mieux maîtriser mes sources pour affiner mes traductions », souligne-t-elle.
Chaque contrat ouvre à la traductrice un nouvel univers – une expérience que Catherine Ego partage avec bonheur avec ses étudiants et étudiantes du certificat de traduction II de la FEP : « Je les encourage à lire le plus possible, à se tenir au courant des enjeux de notre société pour être capables de traduire toutes sortes de textes. Pensez au traducteur du Parfum, de Patrick Süskind, qui a dû apprendre tout le vocabulaire de la parfumerie… ».
En 2014, lisant un entrefilet de trois lignes sur la thèse de doctorat de James Daschuk, qui vient d’être publiée sous le titre Clearing the Plains, elle propose tout de suite aux PUL de la traduire en français. « Personne ne pensait que cela allait intéresser qui que ce soit. Imaginez, une thèse de doctorat qui parle de microbes et de la disparition du mode de vie autochtone… Pourtant, j’y croyais, et comme j’avais déjà une belle collaboration avec les PUL, cela a fonctionné… Ma traduction a même été réimprimée trois fois en français. Comme quoi, je n’étais pas la seule que le sujet intéressait! » confie-t-elle. Elle a d’ailleurs gagné en 2016 le Prix du Gouverneur général pour cette traduction intitulée La destruction des Indiens des Plaines (PUL, 2014).
Cette nouvelle visibilité que lui offre le Prix du Gouverneur général, ainsi que les bons contacts qu’elle entretient dans le milieu de la traduction littéraire, lui permettent ensuite d’enchaîner les traductions d’œuvres de fiction et d’essais, dont notamment Birdie de Tracey Lindberg et Zolitude de Paige Cooper (Éditions du Boréal, 2016 et 2017, respectivement), NoirEs sous surveillance de Robyn Maynard (Mémoire d’encrier, 2018), Renouer avec la Terre et tout ce qui nous unit de Tanya Talaga (Éditions XYZ, 2021). Au fil des ans, Catherine Ego se spécialise en traduction de livres écrits par des auteurs autochtones ou concernant des enjeux autochtones. En plus de La destruction des Indiens des Plaines, Birdie et Renouer avec la Terre, elle traduit notamment Le Harpon du chasseur de Markoosie et Des veines du cœur au sommet de la pensée d’Aqqaluk Lynge pour la collection Jardin de givre (Presses de l’Université du Québec, 2010 et 2012, respectivement), Kagagi de Jay Odjick (Éditions Hannenorak, 2018)… Elle obtient même un certificat en études autochtones de l’Université de Montréal en 2019. En 2021, Louise Bernice Halfe – Sky Dancer, membre de la nation crie et poète officielle du Parlement du Canada, la choisit comme traductrice attitrée.
Une enseignante passionnée
Catherine Ego transmet maintenant son amour des mots et de son métier de traductrice à la relève… « Tout ce que je fais tourne autour du dire, autour de la parole écrite ou parlée. J’écris des textes, j’en traduis, je fais de la scène, je fais de la médiation, de la justice réparatrice. J’essaie d’amener les gens à se parler et à se comprendre » : une bien belle mission qui rend son enseignement d’autant plus passionnant!
Dans son cours en traduction littéraire, elle insiste surtout sur la liberté du traducteur ou de la traductrice. « La traduction littéraire est un art qui s’exerce dans un cadre dont on ne peut pas déborder, dans une contrainte très forte, mais qui offre aussi une marge de liberté dont les étudiants sont rarement conscients au début, explique-t-elle. Le traducteur ou la traductrice n’est pas un passeur inerte! C’est cette liberté que je souhaite transmettre à mes étudiants… La rigueur et le respect de l’œuvre, c’est capital, bien sûr… Mais le traducteur ou la traductrice doit aussi prendre le texte à bras-le-corps. C’est un équilibre à la fois délicat et puissant. Le traducteur ou la traductrice ne doit pas prendre trop de place, mais pas non plus trop peu – car, dans les deux cas, il trahirait l’auteur. »
Quand on l’interroge sur les qualités et les compétences nécessaires en traduction littéraire, Catherine Ego répond sans hésiter : « Le contact humain! J’aime dire que la traduction littéraire est un métier solitaire qui se fait à plusieurs. On est entouré par un écosystème : l’auteur, le correcteur, le réviseur, l’éditeur… Tous ces gens-là participent à la traduction et prennent conjointement des décisions la concernant, donc le contact humain est primordial. Sans compter qu’il faut savoir regarder le monde à travers les yeux de l’auteur ou de l’autrice pour bien rendre compte de sa parole… même si on n’est pas toujours d’accord avec lui ou elle. Et si la littérature n’est pas une histoire de contact humain, à quoi sert-elle? » conclut-elle dans un sourire. À ses étudiants et étudiantes, elle conseille donc de fréquenter les événements littéraires, de rencontrer les professionnels du milieu et de ne pas hésiter à proposer aux éditeurs les livres qu’ils souhaitent traduire.
Mais, pour être un bon traducteur ou une bonne traductrice littéraire, il faut aussi aimer et maîtriser la langue d’arrivée « dans toutes ses incarnations ». Pour cela, il faut beaucoup lire en français, toutes sortes de littératures, pour se ressourcer, se renouveler, agrandir son espace intérieur. « Pour traduire, il ne suffit pas de comprendre les mots; il faut saisir ce que l’auteur veut dire. Son texte est-il ironique, cinglant, gentil, naïf? Quel est le contexte? Contient-il des références particulières, des allusions ? Si on ne le sait pas, on passe à côté. Dans notre profession, on ne traduit pas des mots; on traduit des univers. C’est la beauté de ce métier. » Un métier qu’elle donne, en tout cas, assurément envie d’exercer.
Pour en savoir plus sur le Certificat de traduction I.
Pour en savoir plus sur le Certificat de traduction II.
Catherine Ego, la chargée de cours de la FEP qui donne envie de traduire la littérature
(UdeM, Faculté de l’éducation permanente, 7 septembre 2021)